Les aventures d’un bus multiculturel Paris-Londres

Leutnant
Démocratie Participative
12 juillet 2019

Pause multiculturelle, direction Londres.

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THREAD. Je prends souvent le bus entre Paris et Londres, moins cher et plus drôle que l’eurostar. Aujourd’hui, à 7.30, je monte dans le bus à Bercy. Le chauffeur semble être un chouette type, il fait des blagues et met une belle ambiance. Jusqu’ici tout se passe donc très bien.

Ça fait 4 heures qu’on roule tranquillou sur l’A1 quand le chauffeur nous annonce que nous allons faire une pause sur une aire. Trop bien, on va pouvoir se dégourdir les jambes et prendre un café. Si seulement on savait ce qui allait se passer.

Contents de pouvoir sortir, tous les passagers descendent du bus. Tous sauf une personne. Une dame cinquantenaire qui ne veut pas descendre du bus, elle préfère dormir. Le problème c’est que selon le chauffeur sympa, elle est obligée de descendre du bus. La crise commence.

Plutôt que d’expliquer gentiment qu’il fallait descendre, le chauffeur a préféré la traiter de « fucking idiot ». Moins sympa soudain.

Curieusement, ça ne lui a pas plu. Elle lui retourne donc le compliment. Ça ne lui plaît pas non plus.

Après un certain temps, la dame décide finalement d’aller se dégourdir les jambes. Le chauffeur, qui semble tracassé, s’enfuit vers le buffet et dévore son repas tout en s’énervant contre quelqu’un au téléphone. Il a l’air moins sympa qu’à Bercy.

A 11h50, l’heure où on est supposés repartir, on attend tous sagement que le chauffeur vienne nous ouvrir le bus. On se demande un peu ce qu’il est en train de faire. Il émerge soudainement, se dirige avec ferveur vers le bus, se faufile jusqu’à la porte, se retourne et déclare, « faites ce que vous voulez, je ne conduirai plus ». Oh merde.

« Je ne conduirai pas tant qu’elle ne s’excusera pas. » Forcément, la dame refuse catégoriquement de s’excuser, hurlant que c’est lui qui l’avait insulté. Les passagers s’inquiètent un peu, on a quand même un train à prendre sous la Manche. (Spoiler, on l’a raté)

Départ des négociations. De vaillants passagers tentent désespérément de jouer les médiateurs entre la passagère et le chauffeur. L’aire d’autoroute de Wancourt Est sur l’A1 se transforme en mini ONU.

C’est alors que la gendarmerie arrive. Si si, je vous jure. C’est le chauffeur qui les a appelés. On sait pas trop pourquoi d’ailleurs, mais on espère quand-même qu’ils vont résoudre l’impasse.

Manque de pot, l’anglais des gendarmes s’arrête à « éllo » et le français du chauffeur s’arrête à « c’est bien? » Franchement pas très pratique tout ça, en plus le chauffeur n’arrête pas d’implorer Allah et de lever les mains au ciel sous les regards curieux des gendarmes.

Malgré les efforts des gendarmes, et les traductions héroïques mais approximatives des passagers, le chauffeur annonce qu’il ne répartira en aucun cas avec la dame dans SON bus.

Le stand-off bat son plein. Ca fait une heure qu’on est sur cette foutue aire d’autoroute. Un passager Camerounais a fait une analyse approfondie de la situation et nous dévoile ses conclusions: Ca ne sert a rien de négocier car le chauffeur est Somalien, et les Somaliens, paraît-il, sont très têtus.

Après le Camerounais, un Algérien décide de prendre les commandes. Le chauffeur étant musulman, il commence à citer le Coran en expliquant que c’est mal ce qu’il fait. Rien à faire, il change pas d’avis.

Les gendarmes sont d’ailleurs toujours là, un peu paumés quand même. l’Algérien finit par s’engueuler avec le chauffeur, échec. Mais c’est l’occasion pour le seul Chinois du bus, qui parle très bien français et anglais, de tenter un début de carrière diplomatique. Malheureusement en vain.

Ca fait une heure et demi que tout ça dure. Les gendarmes, qui sont un peu à l’écart de cette diplomatie internationale, nous annoncent qu’il y a un accident et qu’ils doivent y aller.

Franchement, j’ai trouvé ça lâche, un accident c’est plus simple a régler que les négociations de l’aire Wancourt Est.

Au même moment, changement de tactique. Tous les passagers se coordonnent pour appeler en même temps la compagnie de bus pour la convaincre de nous envoyer un chauffeur, un autre bus, ou les négociateurs du RAID. L’union fait la force, mais pas de réponse.

Ca fait deux heures, on a un peu abandonné, certains sont assis par terre et mangent, d’autres lisent, les plus radicaux réfléchissent à un putsch contre le chauffeur et à nous conduire nous-même à Londres, et deux pensent faire du stop.

Les négociations ont échoué. Il ne reste plus d’espoir. Nous passerons le reste de notre vie sur l’aire de Wancourt Est. Le chauffeur fume à un bout de l’aire, la dame à l’autre. Et entre eux, le symbolique bus vide qui ne repartira probablement jamais.

Et là, de nulle part et tout à coup, l’Algérien réussit à convaincre la dame et le chauffeur de se parler. Les passagers, devenus cyniques, n’espèrent plus, persuadés que les deux têtes de mule cinquantenaires ne feront que s’engueuler.

Effectivement, le ton des voix hausse rapidement et l’engueulade recommence. Et là, juste avant qu’ils n’en viennent aux mains, l’Algérien tire un coup de maître. Il prend la dame par le bras, se retourne et hurle ‘C’EST BON LES GARS ON Y VA, LE CHAUFFEUR EST D’ACCORD !’

Le chauffeur ne comprend rien, la dame non plus, mais tous les passagers se mettent à applaudir. Le chauffeur finit par ouvrir sans grand enthousiasme le bus. l’Algérien se positionne devant la porte ouverte et fier comme un coq, serre la main de chaque passager. J’ai pleuré.

Une fois assis dans le bus, on attend encore 5 minutes pour que le chauffeur reprenne ses esprits. Il s’assoit, tout le monde se remet à applaudir (sauf le Camerounais et la dame, hors de question d’applaudir). Enfin, après deux heures sur l’aire Wancourt Est, le bus a démarré. l’Algérien est un héro: « je suis en vacances, pas de soucis moi, j’ai fait ça pour les autres. » Quel homme. Quel bus. Quelle aire.

Vive la Reine !

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